Un nouveau web-documentaire intitulé Au centre de Tunis: Géographies de l’espace public après une révolution est paru sur le net. Il s’agit d’une recherche universitaire réalisée par des géographes de l’Université de Cagliari (Italie), du Politecnico de Turin et de l’Université Montpellier 3 (UMR GRED), conçue et produite avec des professionnels des médias (photographes, vidéastes et journalistes), en collaboration avec l’agence Prospekt Photographers de Milan, et financée par la Fondazione Banco di Sardegna.
Au centre de Tunis est une recherche urbaine multimédia sur le changement des pratiques et des usages des espaces publics de Tunis, à trois ans de la Révolution de janvier 2011, destinée à la fois au monde universitaire et au grand public. Elle se base sur une recherche de géographie urbaine sous la forme de témoignage-documentaire d’actualité qui se voudrait expérimentale (voire pionnière) sur divers aspects:
- Le positionnement théorique et la conception du travail de terrain (y compris le rapport entre le positionnement des observateurs et l’implication de ceux qui rendent des témoignages).
- La construction pluridisciplinaire et pluri-méthodologique de l’équipe de travail (chercheurs universitaires et spécialistes de l’image et du multimédia).
- Le choix du support web: cela concerne non seulement une modalité particulière, plus large et relativement originale de diffusion des résultats (notamment dans le champs de la recherche en Sciences Humaines et Sociales), mais implique également une nouvelle conception de “produire” aujourd’hui de la recherche, comportant l’imbrication et “l’hybridation” de plusieurs registres et supports (vidéos, sons, photographies, images, textes, par le biais d’interviews, de témoignages, d’observations de terrain, de « balades urbaines », de points de vues personnels, etc.).
L’équipe est composée par Raffaele Cattedra (UMR-GRED, Université de Montpellier 3 et Université de Cagliari), Maurizio Memoli (Université de Cagliari et UMR GRED), Matteo Puttilli (Université de Cagliari), Francesca Governa (Politecnico/Université de Turin), Rosi Giua (photographe indépendante), Claudio Jampaglia, Samuele Pellecchia et Bruno Chiaravalloti (Agence Prospekt Photographers). Ont collaboré au projet les musiciens Imed Alibi, Alia Sellami et Luca Canali, la traductrice Corinne Milani, et pour le montage et la réalisation web Arianna Cocchi, Alessandra Mainini, Antonio Calabrò, Francesco Merlini (Agence Prospek). Bien évidemment, il y aussi les nombreux collègues, amis et citoyens tunisiens, qui sont (avec la ville de Tunis) les véritables protagonistes de ce webdoc, et sans lesquels cette recherche n’aurait pas eu de sens.
Extraits de la présentation du projet
Le thème de la web-recherche: pourquoi Tunis et la Révolution?
(…) Notre hypothèse de départ est que les espaces publics de Tunis—et en particulier ceux situés au cœur de la ville composé de la Kasbah, de la Médina et de l’avenue Bourguiba—représentent les lieux qui, sur un laps de temps de deux an, restent pétris de la charge d’auto-organisation des citoyens. Lieux dans lesquels se concentrent les significations de l’appartenance civique et politique, outre à être ceux dans lesquels les transformations postrévolutionnaires de l’usage et des pratiques de l’espace sont plus explicites ou évidentes. Dans le contexte de tension sociale et de contestation politique, les espaces publics du centre-ville de Tunis constituent à la fois le scénario principal de la chute du régime politique et une sorte de «théâtre territorial» des formes de mobilisation sociale et politique. Ces espaces semblent pouvoir synthétiser un «mouvement social» contextualisé et défini dans le temps, mais aussi un phénomène plus global au sein duquel la société locale toute entière semble être en mouvement. La géographie de ces espaces publics se «réécrit» grâce à l’apparition de nouvelles pratiques et prises de conscience, qui, d’une part, renouvellent les temporalités et les modes de fréquentation et, d’autre part, modifient les formes, les significations et les prises de conscience du paysage urbain.
Ces formes de territorialité renouvelée de la ville et des espaces publics sont au cœur de notre web-recherche. Dans les espaces apparemment neutres des places urbaines a pris corps une nouvelle configuration de l`action politique et civique, de la production de discours et des pratiques de mobilisation, ce qui fut impossible durant de nombreuses décennies dans ces contextes spécifiques. Cette reconfiguration sociale et spatiale, en partant d’un évènement exceptionnel tel qu’une révolution, souligne les capacités d’une réinvention continue de l’espace public.
La méthode: expérience et expérimentation(…)Il s’agit surtout d’une expérimentation méthodologique qui concerne, en effet, trois aspects que nous avons essayé de mettre en pratique selon une approche pour nous inédite: le premier aspect se réfère à la phase de construction théorique et de préparation du travail sur le terrain, le deuxième se réfère à la constitution multidisciplinaire et inter-opérationnelle du groupe de recherche et, enfin, le troisième renvoie à la structure, au support et à la forme de diffusion de ce que nous avons observé, recueilli et compris.
En ce qui concerne le premier point, tout en considérant nos nombreuses années de recherche dans le domaine de la géographie urbaine et de celui des études de l`espace public, le groupe de recherche a (volontairement) évité de partager intégralement la préparation afférente aux conditions politiques, sociales, économiques et spatiales du champ de recherche. Plutôt que de travailler sur une bibliographie et des références communes, nous avons préféré adopter une approche progressive et spécifique au contexte d’observation.
Nous avons ainsi réalisé une observation spontanée et subjective des espaces publics du centre de Tunis, par le biais de l`immersion directe sur le terrain. Nous avons focalisé notre attention plus particulièrement sur le dévoilement des dynamiques relationnelles (individuelles et collectives), sur les propensions et les sensibilités de chacun, même en respectant les thématiques étudiées au cours de la construction problématique. Ce qui pourrait être défini comme une «pratique liquide» du travail de recherche s`est en fait révélée être une façon de confondre les rôles au sein du groupe, de communiquer les compétences, de diriger les aptitudes professionnelles vers un mélange d’approches, de respect et d`acquisition des logiques d`autres techniques et sensibilités. Les longues réunions collectives, organisées le soir et le matin, ont facilité le partage des lectures individuelles et les difficiles prises de décisions ont été, pour la plupart, intégrées dans un processus et un programme de travail qui évoluait de jour en jour.
Le deuxième point, c’est-à-dire le choix de la composition du groupe de recherche, est cohérent et essentiel. Ce groupe de recherche est composé de sensibilités (comme il est d’usage dans les travaux collectifs), de professions (réalisateurs, photographes, chercheurs universitaires), d’expériences (seulement une partie du groupe connaissait Tunis et les pays arabes), ainsi que d`intérêts différents (seulement certains avait une grande expérience dans le domaine des études urbaines). (…)
Notre objectif ne se résumait pas uniquement à «mettre ensemble» des vidéos, des textes, des photos, des représentations graphiques et une solution technique de publication en ligne, mais aussi à essayer de mélanger ces différentes formes de narration en faisant en sorte que les mots influent sur la définition des images, qui à leur tour pourraient influer sur le choix des mêmes images. Nous avons cru en nos diversités en matière de regards et de compétences, convaincus que ces diversités pouvaient constituer un bien commun qui s’est, selon nous, transformé en projet.
La forme web que nous avons sélectionnée est consubstantielle au choix du projet et à la volonté de divulguer une expérience et une connaissance, acquises à partir de méthodes et de thématiques de la recherche géographique, auprès d’un public plus vaste que le contexte universitaire, un public potentiellement même très vaste puisque c’est celui du réseau et du champs de la communication électronique. Vous n`êtes donc pas en train de lire une recherche, en train de regarder un site ou en train de feuilleter d`images, vous êtes en train de consulter le numéro zéro d`une géo-web-recherche, que nous espérons pouvoir poursuivre avec d`autres étapes, d’autres lieux, avec des groupes et des compétences toujours ouverts et pluriels.